Roland Dubois
LA FONTAINE des abeilles, 1943
L’été
A Chs Rochat-Cenise.
LE chemin fleuri, bordé de la tendre primevère
au jaune sourire, de l’étoile blanche du narcisse
et de la verte fraîcheur du « mai », nous a conduit
tout doucement à l’été, qui commence demain,
selon la convention des savants astronomes.
Il est impossible de définir, en quelques lignes,
notre sentiment de l’été, réseau secret de tant
d’émois, de troubles, d’enchantements, de sensa-
tions riches et confuses qui font battre notre cœur
au rythme de l’ardent soleil. Il est préférable de
brosser le tableau estival par petites touches, à
l’aide d’impressions filtrées par le souvenir des
jours heureux.
Oui, je me souviens ; cela revient chaque année ;
on ne peut l’oublier et on est ravi de la retrouver,
celle qu’on appelle ici « la belle saison » : Juin,
Juillet, Août, trilogie éclatante de lumière et de
chaleur…
La nature voluptueuse se donne à vous, sans
retenue, sans pudeur : les herbes sont hautes, les
blés mûris ont des ondulations d’or, les arbres
prennent des airs nobles et ressemblent à des
monuments ; les lourds marronniers font des fes-
tons d’ombre sur le trottoir désert ; car toute cette
végétation où le vert triomphe, attire l’homme
des villes où le soleil s’encaisse entre les façades…
Et l’homme, avec son insatiable appétit de la
nature, part, court, s’échappe, s’évade, monte sur
les sommets tout près du ciel bleu de roi, se cache
dans les forêts épaisses, nage dans la transparence
des lacs, file le long des chemins brûlants comme
des déserts, à travers les champs où les fleurs
défuntes ont laissé leurs graines légères s’envoler
suivant le vent, dans les parfums qui agacent le
nez, comme une forte moutarde…
Et l’homme accablé se couche sur la terre
amoureuse ; il écoute battre son cœur fiévreux ;
il entend aussi, tout près de son oreille, le
bourdonnement des mouches et des frelons, des
moucherons et des abeilles sauvages, toute cette
musique à ras le sol des insectes au royaume des
herbes qui tomberont bientôt sous la faux du
paysan joyeux ; et, tout près, derrière les alisiers
et les noisetiers, il y a enfin un peu de fraîcheur :
un ruisseau cascadant qui roucoule comme une
colombe…
La nature toute puissante relâchera l’homme
rassasié, saoûlé de soleil et d’air chaud, ivre de
santé et le laissera redescendre la courbe vers
l’hiver, à travers l’automne roux.
C’est tout cela l’été : ce rendez-vous de chaleur,
de lumière, de jours longs, de végétation bien
installée, de puissance étale et tranquille.
C’est encore bien d’autres choses qui reviennent,
pêle-mêle, dans mon souvenir : les vacances, la
canicule, les promotions, les orages, les fenaisons
et les moissons, les petits fruits et les cerises…
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Je m’arrête d’écrire : à la radio, j’entends un
air de Mozart, « l’Oiseleur joyeux » et, devant
ma fenêtre, passe un papillon qui m’invite à
sortir dans le soleil…
Alors, suivons-le, sortons, chantons, allons à la
rencontre de l’été qui s’apprête à étendre sur la
terre la torpeur d’un éternel midi.
(Écrit un 20 juin.)
Les Sorbiers Rouges, Marcel Schiess
Publication : mercredi 4 juin 2025
Édition originale :
La Fontaine des abeilles
Marcel-H. Dubois et Roland Dubois
Préface d’Arthur Nicolet
Dessins de Georges Junod
Le Locle, Éditions Oderbolz – Le Locle, juillet 1943
180 pages – épuisé.
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Marcel Schiess
T. +41 79 240 33 67
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Impressum
Direction éditoriale et rédaction : Marcel Schiess
Design et programmation : KOMBO.studio
Relecture et corrections : Guillaume Babey
© Les Sorbiers Rouges, Marcel Schiess, 2024
Le Locle, le 16 mai 1946.
Madame Vve. Marcel Dubois
Le Prévoux
Madame,
La longue maladie dont souffrait M. Dubois, les nouvelles que nous en avions ces dernières semaines ne nous laissaient pas beaucoup d’espoir de le revoir au Collège.
Nous aimions cependant penser que le mal lui laisserait encore quelques moments d’accalmie.
Notre vœu n’a pas été exaucé et son décès laisse l’école, comme sa famille, plongée dans une profonde tristesse.
Au moment où il s’en va, la Commission scolaire et la Commission de l’école de commerce tiennent à vous dire combien elles ont apprécié M. Dubois. Il fut un excellent maître. Il connaissait parfaitement la langue allemande et savait l’enseigner. Cette tâche, si ardue parfois, il l’a toujours remplie avec dévouement, conscience et savoir-faire. De plus, il a su gagner l’affection de ses élèves dont beaucoup sont devenus dans la suite de bons amis pour lui. Brisé par la souffrance physique et le deuil, il a fait vaillamment son devoir jusqu’au bout, laissant ainsi un bel exemple à tout son entourage, à notre jeunesse en particulier.
Dans les heures difficiles que vous passez, les autorités scolaires vous expriment, ainsi qu’à toute votre famille, leur très vive sympathie et souhaitent que le bon souvenir que laisse votre cher défunt à toute notre population, la reconnaissance des autorités, des élèves, de leurs parents, vous soient de quelque réconfort dans votre deuil.
C’est dans ces sentiments que nous vous prions d’agréer, Madame, nos salutations respectueuses.
Au nom de la Commission Scolaire :
Le Secrétaire
M.H Primault
Signature lisible
Le Président
Signature autographe, pas lisible
Au nom de la Commission
De l’École de Commerce :
Le Président
Signature autographe, pas lisible
Marcel-Henri Dubois parlait, lisait et écrivait le patois du Jura neuchâtelois.
Il note dans son cahier « A bâtons rompus No 3, en 1931 :
« Ce patois du Locle et de la Sagne que ma génération ignore complètement »
Pour Marcel-H. Dubois, le foyer c’est l’hoteau, la maison de la famille Dubois au Prévoux, qui doit son nom à un terme de patois :
3o Aussi, par conséquent, c’est pourquoi: Il était très avare, «djierè, a sn’aterma è n’i avai quasi gnyon, on ne l’ammâve pas», aussi, à son enterrement, il n’y avait quasi personne, on ne l’aimait pas (N Ch. de F.). Le lieutenant de police voulait que tout fût rangé et «le z ètsirle foûran dzère apohyî…» contre l’hotau, les échelles furent donc appuyées contre la maison (N Bér. Pat. neuch. 117).
Université de Neuchâtel, dialectologie :
Le « patois » neuchâtelois est un dialecte de la langue francoprovençale, l’une des trois langues traditionnelles de l’espace gallo-roman, avec l’occitan dans le Sud, et le français (langue d’oïl, avec ses dialectes) au Nord. Neuchâtel se trouve à la limite nord-est du francoprovençal, qui comprend toute la Suisse romande (sauf le Jura), une partie du Jura français, le Lyonnais, le Forez, la Savoie et la Vallée d’Aoste (carte).
Comme tous les dialectes, le parler francoprovençal de Neuchâtel se distinguait légèrement d’un village, d’une vallée à l’autre, sans que cela pose de difficultés pour la compréhension mutuelle (carte).
Les derniers locuteurs du francoprovençal neuchâtelois ont malheureusement disparu dans les années 1920. Peu avant, conscient de sa disparition imminente, un groupe d’intellectuels et patoisants neuchâtelois a essayé de « sauver les meubles », en publiant un volume souvenir, contenant tous les textes en patois neuchâtelois qu’ils avaient pu rassembler. Ce volume a été publié à Neuchâtel en 1895; il se trouve dans toutes les bonnes bibliothèques du canton.
Ci-dessous, nous reproduisons le début d’un récit en patois de Boudry, rédigé par L. Favre, président du Comité du patois de la Société cantonale d’histoire et d’archéologie, avec sa traduction en français régional.
Voir le texte ment. : http://www5.unine.ch/dialectologie/NE_Presentation.html
Abram-Henri Dubois, né le 6 juillet 1858, l’état-civil indique le 26 juin, épouse Louise-Marie Simon-Vermot, née le 3 juin 1858, fille de Lucien, de Montlebon (Doubs, France), n’eurent point d’enfants, mais m’adoptèrent à la mort de mon père William, et furent mes parents, dont je vénère et bénis la mémoire tous les jours. Le numéro 73 de la Rue des Envers fut leur domicile de 1894 au 20 juillet 1930. Ma mère adoptive fut enterrée le jour de Noël 1918 (morte à 60 ans).
Celui que nous avons toujours appelé « Grand-Papa » par reconnaissance y fut veuf de 1918 à 1930, mais trouve à notre foyer et au contact de nos deux enfants des affections chaudes, un intérêt toujours en éveil. Dans mes « A bâtons rompus », j’ai essayé de faire revivre cette grande figure. Cher et bon Abram-Henri !
« Cet homme auquel je voue un véritable culte, une reconnaissance renouvelée à mesure que mes enfants grandissants attendent de moi davantage – l’enfant ne vivra pas de pain seulement…le cœur veut sa nourriture, l’esprit aussi.
Votre grand-papa ne m’a laissé manquer de rien, j’ai pris à son contact de grandes, de belles leçons d’énergie, de complaisance, de charité pratiquée sans parler, de dévouement, d’abnégation pour tous ceux qui avaient/auraient besoin d’aide.
Il aurait pu m’asseoir à l’établi, me faire quitter définitivement l’école. Il ne l’a pas fait.
Je suis bien certain que jamais pensée de lucre ne l’a effleuré à la croisée de « mes chemins ».Un grand cœur
Un caractèreUn homme aux réactions vives, promptes, trop rudes souvent (un ressort qui se détend soudain et vous saute à la figure). »
Note de Marcel Dubois : « 105 kilos à 70 ans ! »
Faire-part de la mort d’Abram-Henri Dubois : « Non pour être servi, mais pour servir »