Transfrontalier

Vivre à la frontière

Marcel-Henri Dubois, fils de l’horloger Abram-Henri Dubois, était écrivain, poète, professeur d’allemand aux Écoles secondaires, de Commerce et École normale au Locle, ville située à la frontière avec la France, précisément au Col-des-Roches où se trouvait la Douane. Sa mère adoptive, Louise-Marie Simon-Vermot, était française, de Montlebon dans le Haut-Doubs. Il reçut donc aussi une éducation française.

L’amour de Marcel-H. Dubois pour le Jura était sans frontière ; sa maison d’été, l’Hoteau, située au Prévoux, à la frontière avec la France, était le lieu de rendez-vous des gens de lettres. Le poète légionnaire Arthur Nicolet y venait clandestinement, traversant la frontière par les pâturages et les bois, par le Chauffaud France.  Marcel-Henri Dubois, de religion protestante, traversait la frontière à pied pour se rendre à l’Église du Chauffaud, chez son ami l’abbé Nappey. Par amour du Haut-Doubs et aussi parce que cela sonnait bien, il choisit le pseudonyme d’Henri-Flangebouche, du nom d’un village du Haut-Doubs situé entre Morteau et Besançon.

Images d’hier, du temps de Marcel-Henri Dubois

Images d’aujourd’hui

Le Doubs, rivière franco-suisse, n’était pas loin du Prévoux.

Maîtrisant parfaitement la langue de Goethe, Marcel-H. Dubois fut nommé ambassadeur neutre à Sarrebruck, à l’occasion du Plébiscite de la Sarre, le 13 janvier 1935. Il publia un livre intitulé A Sarrebruck tous les deux, paru en décembre 1935, et donna par la suite des conférences pour rendre compte de ce moment historique, qui scella le triomphe du Chancelier Adolf Hitler, avec un score de plus de 90 % des voix.

Le projet Les Sorbiers Rouges est transfrontalier à plus d’un titre. Par la localisation du récit d’une part, et par la biographie de Marcel-Henri Dubois d’autre part. Né Suisse et protestant, il fut élevé dans l’amour de la France et sa capitale tout en étudiant la langue et la littérature allemande. Il devint pensionnaire en en Basse-Saxe, puis ambassadeur dans la Sarre, et enfin professeur d’allemand au Locle. Le parcours de vie de Marcel-H. Dubois relie au tournant du siècle la Suisse, la France et l’Allemagne, traversant deux guerres mondiales. Il ne connaîtra pas la construction de l’Europe moderne, qui débute le 28 janvier 1949 avec le Conseil de l’Europe auquel participera la Suisse.

Aujourd’hui, la coopération transfrontalière entre les trois pays s’organise de manière pacifique. La Suisse est dans l’Espace Schengen et les frontières franco-suisses voient passer chaque jour des dizaines de milliers de travailleurs frontaliers et de consommateurs helvétiques, devenus « navetteurs » dans les deux pays. La Sarre est devenue un Land de la République Fédérale d’Allemagne et la ville de Sarrebruck a été reconstruite après la guerre. Des traces profondes du conflit n’en restent pas moins dans les mémoires et il est nécessaire de se souvenir, avec lucidité et raison, des grands bouleversements du XXème siècle, 80 ans après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Marcel Schiess

Filmer les frontières

Jean-Luc Godard

« Mes deux patries, dit Godard, ce sont les deux rives du Lac Léman, plus Paris. Mes grands-parents, mes arrières grands-parents ont tous fait des voyages entre La Suisse et la France. Et j’ai fait de même. »

« Mon père, pour passer de la rive suisse à la rive française, avait un bateau qui s’appelait Le trait d’union. Donc cela a dû me marquer beaucoup. Moi, je ne suis qu’un trait d’union, et j’ai même un double prénom. »

Alain Bergala, Godard frontalier, La syncope et le syphon.
FILMER LES FRONTIÈRES, sous la direction de Corinne Maury et Philippe Ragel (collectif).
Presses universitaires de Vincennes, Coll. Esthétiques hors cadre, 2016.

La rive sud du Lac Léman (France) vue depuis la rive nord (Suisse), Nyon, 21 avril 2015 ©Marcel Schiess
La rive sud du Lac Léman (France) vue depuis la rive nord (Suisse), Nyon, 21 avril 2015 ©Marcel Schiess

Bibliographie

Des frontières et des jours, Actes Sud Éditions, Coll. Poésie, Poche, 2023.

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au XVIIIe siècle, donnait à la frontière cette extension de sens :

« Ce mot est dérivé, selon plusieurs auteurs, du latin frons ; les frontières étant, disent-ils, comme une espèce de front opposé à l’ennemi. D’autres font venir ce mot de frons, pour une autre raison ; la frontière, disent-ils, est la partie la plus extérieure & la plus avancée d’un état, comme le front l’est du visage de l’homme. »

C’est à la lumière de cette définition-là que ce livre s’autorise tous les franchissements, retours amont, périls et états d’âme. Avec la poésie pour laissez-passer, l’intime s’apparente ici à une géographie secrète. N’appartenant à aucun genre répertorié, ni essai, ni anthologie poétique, ni récit autobiographique, bien que tout cela à la fois, ces pages des plus alertes et des plus alertées s’attaquent tout autant aux barricades de l’être qu’aux barrières de terre ferme.

Éloge des frontières, Éditions Gallimard, 2013.

Habiter la frontière, L’Arche Éditeur, 2012.

Les frontalières, L’Age d’Homme, Coll. Contemporains, 2013.

Géopolitique des frontières, Découper la terre, imposer une vision du monde, Éditions Le Cavalier Bleu, 2020.

Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui, Presses Universitaires de France – PUF, 2015.

Après les frontières, avec la frontière, Nouvelles dynamiques transfrontalières en Europe (collectif), Éditions de l’Aube, Monde en cours, 2006.

Soutien arcjurassien.org

Le projet Les Sorbiers Rouges a été reconnu pour son caractère transfrontalier et ses qualités innovantes. Il a reçu une subvention du Fonds de soutien aux petits projets transfrontaliers, mis en place par Arcjurassien.org, organisme institutionnel de la coopération transfrontalière dans l’Arc jurassien franco-suisse, rassemblant quatre cantons suisses, Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud ; la Région Bourgogne-Franche-Comté et la Préfecture de région Bourgogne-Franche-Comté.

Arcjurassien.org

La coopération transfrontalière

Le Locle, le 16 mai 1946.

Madame Vve. Marcel Dubois

Le Prévoux

Madame,

    La longue maladie dont souffrait M. Dubois, les nouvelles que nous en avions ces dernières semaines ne nous laissaient pas beaucoup d’espoir de le revoir au Collège.
Nous aimions cependant penser que le mal lui laisserait encore quelques moments d’accalmie.
Notre vœu n’a pas été exaucé et son décès laisse l’école, comme sa famille, plongée dans une profonde tristesse.

    Au moment où il s’en va, la Commission scolaire et la Commission de l’école de commerce tiennent à vous dire combien elles ont apprécié M. Dubois. Il fut un excellent maître. Il connaissait parfaitement la langue allemande et savait l’enseigner. Cette tâche, si ardue parfois, il l’a toujours remplie avec dévouement, conscience et savoir-faire.  De plus, il a su gagner l’affection de ses élèves dont beaucoup sont devenus dans la suite de bons amis pour lui. Brisé par la souffrance physique et le deuil, il a fait vaillamment son devoir jusqu’au bout, laissant ainsi un bel exemple à tout son entourage, à notre jeunesse en particulier.

    Dans les heures difficiles que vous passez, les autorités scolaires vous expriment, ainsi qu’à toute votre famille, leur très vive sympathie et souhaitent que le bon souvenir que laisse votre cher défunt à toute notre population, la reconnaissance des autorités, des élèves, de leurs parents, vous soient de quelque réconfort dans votre deuil.

    C’est dans ces sentiments que nous vous prions d’agréer, Madame, nos salutations respectueuses.

Au nom de la Commission Scolaire :

Le Secrétaire
M.H Primault
Signature lisible

Le Président
Signature autographe, pas lisible

Au nom de la Commission
De l’École de Commerce :

Le Président
Signature autographe, pas lisible

Le Patois

Marcel-Henri Dubois parlait, lisait et écrivait le patois du Jura neuchâtelois.
Il note dans son cahier « A bâtons rompus No 3, en 1931 :

« Ce patois du Locle et de la Sagne que ma génération ignore complètement »

Pour Marcel-H. Dubois, le foyer c’est l’hoteau, la maison de la famille Dubois au Prévoux, qui doit son nom à un terme de patois :

3o Aussi, par conséquent, c’est pourquoi: Il était très avare, «djierè, a sn’aterma è n’i avai quasi gnyon, on ne l’ammâve pas», aussi, à son enterrement, il n’y avait quasi personne, on ne l’aimait pas (N Ch. de F.). Le lieutenant de police voulait que tout fût rangé et «le z ètsirle foûran dzère apohyî…» contre l’hotau, les échelles furent donc appuyées contre la maison (N Bér. Pat. neuch. 117).

Pour en savoir plus sur le patois neuchâtelois :

Université de Neuchâtel, dialectologie :

Le « patois » neuchâtelois est un dialecte de la langue francoprovençale, l’une des trois langues traditionnelles de l’espace gallo-roman, avec l’occitan dans le Sud, et le français (langue d’oïl, avec ses dialectes) au Nord. Neuchâtel se trouve à la limite nord-est du francoprovençal, qui comprend toute la Suisse romande (sauf le Jura), une partie du Jura français, le Lyonnais, le Forez, la Savoie et la Vallée d’Aoste (carte).

Comme tous les dialectes, le parler francoprovençal de Neuchâtel se distinguait légèrement d’un village, d’une vallée à l’autre, sans que cela pose de difficultés pour la compréhension mutuelle (carte).

Les derniers locuteurs du francoprovençal neuchâtelois ont malheureusement disparu dans les années 1920. Peu avant, conscient de sa disparition imminente, un groupe d’intellectuels et patoisants neuchâtelois a essayé de « sauver les meubles », en publiant un volume souvenir, contenant tous les textes en patois neuchâtelois qu’ils avaient pu rassembler. Ce volume a été publié à Neuchâtel en 1895; il se trouve dans toutes les bonnes bibliothèques du canton.

Ci-dessous, nous reproduisons le début d’un récit en patois de Boudry, rédigé par L. Favre, président du Comité du patois de la Société cantonale d’histoire et d’archéologie, avec sa traduction en français régional.
Voir le texte ment. : http://www5.unine.ch/dialectologie/NE_Presentation.html

Marcel Dubois, portrait de son père Abram-Henri Dubois, horloger loclois

Abram-Henri Dubois, né le 6 juillet 1858, l’état-civil indique le 26 juin, épouse Louise-Marie Simon-Vermot, née le 3 juin 1858, fille de Lucien, de Montlebon (Doubs, France), n’eurent point d’enfants, mais m’adoptèrent à la mort de mon père William, et furent mes parents, dont je vénère et bénis la mémoire tous les jours. Le numéro 73 de la Rue des Envers fut leur domicile de 1894 au 20 juillet 1930. Ma mère adoptive fut enterrée le jour de Noël 1918 (morte à 60 ans).

Celui que nous avons toujours appelé « Grand-Papa » par reconnaissance y fut veuf de 1918 à 1930, mais trouve à notre foyer et au contact de nos deux enfants des affections chaudes, un intérêt toujours en éveil. Dans mes « A bâtons rompus », j’ai essayé de faire revivre cette grande figure. Cher et bon Abram-Henri !

« Cet homme auquel je voue un véritable culte, une reconnaissance renouvelée à mesure que mes enfants grandissants attendent de moi davantage – l’enfant ne vivra pas de pain seulement…le cœur veut sa nourriture, l’esprit aussi.

Votre grand-papa ne m’a laissé manquer de rien, j’ai pris à son contact de grandes, de belles leçons d’énergie, de complaisance, de charité pratiquée sans parler, de dévouement, d’abnégation pour tous ceux qui avaient/auraient besoin d’aide.

Il aurait pu m’asseoir à l’établi, me faire quitter définitivement l’école. Il ne l’a pas fait.
Je suis bien certain que jamais pensée de lucre ne l’a effleuré à la croisée de « mes chemins ».

Un grand cœur
Un caractère

Un homme aux réactions vives, promptes, trop rudes souvent (un ressort qui se détend soudain et vous saute à la figure). »

Note de Marcel Dubois : « 105 kilos à 70 ans ! »

Faire-part de la mort d’Abram-Henri Dubois : « Non pour être servi, mais pour servir »