Horlogerie

Préambule, Marcel Schiess:

L’horlogerie au Locle est un sujet en soi et mériterait que l’on y consacre une encyclopédie.

Pour Les Sorbiers Rouges, je m’en tiendrai donc à ce qui nous concerne, à savoir la famille Dubois : Marcel-Henri Dubois et ses deux ancêtres directs, les artisans horlogers Abram-Louis et Abram-Henri Dubois, et sa fille Jacqueline Dubois, ma mère.

Marcel-Henri Dubois était fils et petit-fils d’horlogers. Son père Abram-Henri Dubois et son grand-père Abram-Louis Dubois étaient de nobles artisans, des hommes cultivés et des forces de la nature, à même de se faire respecter.

Ils devaient travailler de longues heures à l’établi pour créer ces garde-temps, qui se devaient d’être fiables et d’indiquer l’heure avec précision. Leur outillage était sommaire, le travail de la main était essentiel, prolongement de l’œil dans le « migrosse », pour voir cet infiniment petit, fait d’alliages divers, de peu de matière finalement.

Les Dubois, artisans horlogers, ont contribué à la notoriété et à la prospérité de la ville du Locle, perpétuant la tradition et transmettant celle-ci aux générations futures.

De Marcel-H. Dubois, extraits du chapitre « Carrefour de mes ombres » :

…Devant moi s’ouvrait déjà la porte de l’atelier de mon père adoptif où, enfant, je jouais sur le plancher, dans la fumée des pipes à couvercle et des lampes à pétrole, avec des morceaux de laiton ou des « bois d’étau » tombés de l’établi. Je franchissais d’un élan joyeux le seuil de la vie d’autrefois, je bondissais vers nos ouvriers assis coude à coude le long de l’établi, en blouse de toile gris foncé, cinq à la gauche du patron, cinq à sa droite, penchés, la loupe à l’œil, sur leur « mouvement » et chantant en chœur un air en vogue des « Cloches de Corneville », cependant que, dans sa cage suspendue au milieu du plafond, un canari improvisait de mirobolantes variations…

Le village, au fond de la vallée, s’est endormi comme chaque soir, tous feux éteints.
Les outils reposent, et tout ce qui sert au travail. Jusqu’à la nuit, les Daniel, Abram, Louys et David ont besogné. Sur les Monts du Locle, un fils de Daniel JeanRichard rêve peut-être que l’horlogerie locloise conquerra les marchés du monde et, au « Verger », dans une étroite maison de bois, les burins d’un Girardet gardent encore la tiédeur d’une main d’artiste passionnée de gravure.

DUBOIS Marcel, 1941, Feux Follets sur la Vy-aux-Loups, Le Locle : Éditions Oderbolz

Marcel-H. Dubois a été Professeur aux écoles secondaire ; normale et de Commerce du Locle, de 1915 à 1946 et en Langue et littérature allemandes au Collège Daniel JeanRichard, appelé communément le « Vieux Collège ».

Situé rue Daniel-Jeanrichard 11, le bâtiment a été construit entre 1844 et 1846 d’après les plans de l’architecte Édouard de Sandoz-Rosières. D’abord Collège industriel, il abrite ensuite l’École d’horlogerie du Locle, fondée en 1868. Il abrite aujourd’hui un établissement scolaire.

L’enseignement en ville du Locle a bénéficié de l’essor de l’horlogerie et de la nécessité d’élever le niveau de connaissances des élèves, notamment par l’apprentissage des langues anciennes et modernes. Rappelons que l’horlogerie est une industrie d’exportation dans le monde entier.

Voir l’article de la Feuille d’Avis des Montagnes, le 28 février 1968 « Début de l’enseignement du latin au Collège industriel » (article annexe).

Une magnifique sculpture en bronze de Daniel Jeanrichard se trouve dans la cour, devant l’ancienne École d’Horlogerie. Elle a été réalisée par le sculpteur Charles-François-Marie Iguel. La statue a été inaugurée le 15 juillet 1888. Elle est en bronze, mesure 9 mètres de haut, et repose sur un piédestal de marbre de Carrare.

→ Voir la fiche SIKART du sculpteur Charles-François-Marie Iguel, Paris (France) 1827 – Genève (Suisse) 1897.

Le choix de cet artiste de renom dit bien l’importance de Daniel Jeanrichard dans l’histoire et le développement de l’horlogerie au Locle.

Daniel JeanRichard

Daniel Jeanrichard, né à La Sagne en 1665, établi au Locle et décédé en 1741, Daniel Jeanrichard est considéré comme le fondateur de l’industrie horlogère neuchâteloise.

Un véritable héros que l’on célèbre en grandes pompes au Locle.

20-29 juin 1941 Célébration du bicentenaire de Daniel Jeanrichard
Marcel-H. Dubois est l’auteur du livret du Festival historique du Bicentenaire, avec Jean Pellaton.
lien Bicentenaire DJR en 1941, voir Biographie Marcel Dubois (…)

→ Daniel Jeanrichard, DHS Dictionnaire Historique de la Suisse, Estelle Fallet.

A lire :
MARTI Laurence, 2003, L’invention de l’horloger. De l’histoire au mythe de Daniel JeanRichard, Lausanne : Éditions Antipodes, 142 pages. Extrait :

« Il réussit à terminer une montre dont le mouvement, le ressort, la boîte, la gravure, la dorure, tout était de sa main. »
— Henri Alphonse de Sandoz-Rollin, 18186

Les grandes personnalités, les grandes fabriques

Note de Marcel Schiess :

Dans ce chapitre, je citerai quelques éléments historiques et j’évoquerai des personnalités marquantes de l’histoire horlogère du Locle. C’est un choix sélectif et il ne saurait résumer la richesse de ce patrimoine industriel et culturel.

Le Locle, berceau de l’horlogerie, a généré de grands inventeurs, parmi lesquels Jacques-Frédéric Houriet (1743-1830) et Abraham-Louis Perrelet (1729-1826).

Tissot et Zénith

Au XIXe siècle, l’horlogerie devient une industrie. Au Locle, des personnalités d’exception, des patrons visionnaires, vont développer des manufactures et créer des marques prospères, dont les produits seront connus et vendus dans le monde entier.

Charles-Félicien (1804-1873) et Charles-Émile Tissot (1830-1910) pour la TISSOT, et Georges Favre-Jacot (1843-1917) pour la ZÉNITH.

Dans ma jeunesse des années 60-70, au Locle, on « était » plutôt TISSOT ou plutôt Zénith, comme à Paris on « était » Rive gauche ou Rive droite, ou si vous préférez, Montmartre ou Montparnasse, ou encore les Beatles ou les Rolling Stones. En l’occurrence la Tissot est sur la rive gauche du Bied, et la Zénith, sur la droite. Dans ces années de prospérité et de relative insouciance, les fabriques qui donnaient du travail à tout le monde, faisaient partie de notre imaginaire collectif.

Dans l’histoire de la famille Dubois et dans notre champ culturel, c’est la fabrique TISSOT.

Ma mère Jacqueline Dubois a travaillé durant 14 ans à la Tissot (1941-1955), au Département suisse, sous la direction de M. Walter Schatz. Époque bénie où les employées chantaient dans les bureaux !
A la direction, se trouvait Marie Tissot, née à Moscou en 1897 d’une mère russe. Cette héritière, économe et célibataire, se préoccupait du bien-être de ses employés.es ; elle a créé le Foyer Tissot en 1949, une pension et cantine aux prix abordables, un véritable lieu de vie et de sociabilité.

A lire :
→ FALLET Estelle, 2003, TISSOT 150 ans d’histoire 1853-2003, Le Locle : TISSOT SA, 352 pages.

→ A voir sur Internet, HISTOIRE TISSOT S.A.

Fabrique Tissot au Locle
Fabrique Tissot au Locle

La Zénith

Georges Favre-Jacot

L’histoire de cette entreprise et de cette marque fascine, notamment par la précocité, la détermination et l’esprit d’entreprise de son fondateur Georges Favre-Jacot. Il semble avoir tout fait, tout réussi. Il était un patron à l’américaine, construisant des maisons pour ces ouvriers – à la Molière – sans oublier de demander en 1912 à l’architecte Charles-Édouard Jeanneret, dit le Corbusier, de lui dessiner une maison. La Villa la Forêt, construite à flanc de coteau et orientée plein sud, sera achevée en 1913. Elle domine avec fierté la ville et ses usines, seule, sans voisinage aucun, au bord de la forêt.

Georges Favre-Jacot, le patron de la Zénith, portait un très grand chapeau, conduisait une voiture de légende, et nourrissait une passion pour les chevaux. Cavalier émérite, ce grand bourgeois chevauchait dans les environs du Locle, en particulier au Prévoux, dont il aimait la villégiature. Son grand projet était de développer le tourisme dans la région et d’en faire fortune, mais ce dessein ne s’accomplira pas, la région n’étant pas faite pour le tourisme de masse. Il aurait dit que c’était la seule chose qu’il n’avait pas réussie dans sa vie d’entrepreneur. Les habitants et la nature du Prévoux lui en sont reconnaissants !

Le Prévoux, pâturage
Le Prévoux, pâturage

Bibliographie

DONZÉ Pierre-Yves, Histoire de l’industrie horlogère suisse, de Jacques David à Nicolas Hayek (1850-2000), Neuchâtel, Collection Histoire et Horlogerie, Éditions Alphil, Presses Universitaires Suisses, 2009.

Le Locle, le 16 mai 1946.

Madame Vve. Marcel Dubois

Le Prévoux

Madame,

    La longue maladie dont souffrait M. Dubois, les nouvelles que nous en avions ces dernières semaines ne nous laissaient pas beaucoup d’espoir de le revoir au Collège.
Nous aimions cependant penser que le mal lui laisserait encore quelques moments d’accalmie.
Notre vœu n’a pas été exaucé et son décès laisse l’école, comme sa famille, plongée dans une profonde tristesse.

    Au moment où il s’en va, la Commission scolaire et la Commission de l’école de commerce tiennent à vous dire combien elles ont apprécié M. Dubois. Il fut un excellent maître. Il connaissait parfaitement la langue allemande et savait l’enseigner. Cette tâche, si ardue parfois, il l’a toujours remplie avec dévouement, conscience et savoir-faire.  De plus, il a su gagner l’affection de ses élèves dont beaucoup sont devenus dans la suite de bons amis pour lui. Brisé par la souffrance physique et le deuil, il a fait vaillamment son devoir jusqu’au bout, laissant ainsi un bel exemple à tout son entourage, à notre jeunesse en particulier.

    Dans les heures difficiles que vous passez, les autorités scolaires vous expriment, ainsi qu’à toute votre famille, leur très vive sympathie et souhaitent que le bon souvenir que laisse votre cher défunt à toute notre population, la reconnaissance des autorités, des élèves, de leurs parents, vous soient de quelque réconfort dans votre deuil.

    C’est dans ces sentiments que nous vous prions d’agréer, Madame, nos salutations respectueuses.

Au nom de la Commission Scolaire :

Le Secrétaire
M.H Primault
Signature lisible

Le Président
Signature autographe, pas lisible

Au nom de la Commission
De l’École de Commerce :

Le Président
Signature autographe, pas lisible

Le Patois

Marcel-Henri Dubois parlait, lisait et écrivait le patois du Jura neuchâtelois.
Il note dans son cahier « A bâtons rompus No 3, en 1931 :

« Ce patois du Locle et de la Sagne que ma génération ignore complètement »

Pour Marcel-H. Dubois, le foyer c’est l’hoteau, la maison de la famille Dubois au Prévoux, qui doit son nom à un terme de patois :

3o Aussi, par conséquent, c’est pourquoi: Il était très avare, «djierè, a sn’aterma è n’i avai quasi gnyon, on ne l’ammâve pas», aussi, à son enterrement, il n’y avait quasi personne, on ne l’aimait pas (N Ch. de F.). Le lieutenant de police voulait que tout fût rangé et «le z ètsirle foûran dzère apohyî…» contre l’hotau, les échelles furent donc appuyées contre la maison (N Bér. Pat. neuch. 117).

Pour en savoir plus sur le patois neuchâtelois :

Université de Neuchâtel, dialectologie :

Le « patois » neuchâtelois est un dialecte de la langue francoprovençale, l’une des trois langues traditionnelles de l’espace gallo-roman, avec l’occitan dans le Sud, et le français (langue d’oïl, avec ses dialectes) au Nord. Neuchâtel se trouve à la limite nord-est du francoprovençal, qui comprend toute la Suisse romande (sauf le Jura), une partie du Jura français, le Lyonnais, le Forez, la Savoie et la Vallée d’Aoste (carte).

Comme tous les dialectes, le parler francoprovençal de Neuchâtel se distinguait légèrement d’un village, d’une vallée à l’autre, sans que cela pose de difficultés pour la compréhension mutuelle (carte).

Les derniers locuteurs du francoprovençal neuchâtelois ont malheureusement disparu dans les années 1920. Peu avant, conscient de sa disparition imminente, un groupe d’intellectuels et patoisants neuchâtelois a essayé de « sauver les meubles », en publiant un volume souvenir, contenant tous les textes en patois neuchâtelois qu’ils avaient pu rassembler. Ce volume a été publié à Neuchâtel en 1895; il se trouve dans toutes les bonnes bibliothèques du canton.

Ci-dessous, nous reproduisons le début d’un récit en patois de Boudry, rédigé par L. Favre, président du Comité du patois de la Société cantonale d’histoire et d’archéologie, avec sa traduction en français régional.
Voir le texte ment. : http://www5.unine.ch/dialectologie/NE_Presentation.html

Marcel Dubois, portrait de son père Abram-Henri Dubois, horloger loclois

Abram-Henri Dubois, né le 6 juillet 1858, l’état-civil indique le 26 juin, épouse Louise-Marie Simon-Vermot, née le 3 juin 1858, fille de Lucien, de Montlebon (Doubs, France), n’eurent point d’enfants, mais m’adoptèrent à la mort de mon père William, et furent mes parents, dont je vénère et bénis la mémoire tous les jours. Le numéro 73 de la Rue des Envers fut leur domicile de 1894 au 20 juillet 1930. Ma mère adoptive fut enterrée le jour de Noël 1918 (morte à 60 ans).

Celui que nous avons toujours appelé « Grand-Papa » par reconnaissance y fut veuf de 1918 à 1930, mais trouve à notre foyer et au contact de nos deux enfants des affections chaudes, un intérêt toujours en éveil. Dans mes « A bâtons rompus », j’ai essayé de faire revivre cette grande figure. Cher et bon Abram-Henri !

« Cet homme auquel je voue un véritable culte, une reconnaissance renouvelée à mesure que mes enfants grandissants attendent de moi davantage – l’enfant ne vivra pas de pain seulement…le cœur veut sa nourriture, l’esprit aussi.

Votre grand-papa ne m’a laissé manquer de rien, j’ai pris à son contact de grandes, de belles leçons d’énergie, de complaisance, de charité pratiquée sans parler, de dévouement, d’abnégation pour tous ceux qui avaient/auraient besoin d’aide.

Il aurait pu m’asseoir à l’établi, me faire quitter définitivement l’école. Il ne l’a pas fait.
Je suis bien certain que jamais pensée de lucre ne l’a effleuré à la croisée de « mes chemins ».

Un grand cœur
Un caractère

Un homme aux réactions vives, promptes, trop rudes souvent (un ressort qui se détend soudain et vous saute à la figure). »

Note de Marcel Dubois : « 105 kilos à 70 ans ! »

Faire-part de la mort d’Abram-Henri Dubois : « Non pour être servi, mais pour servir »